QPC – Droit de rétrocession : le délai d’un mois laissé à l’exproprié pour accepter le prix fixé n’est pas une atteinte au droit de propriété
Le 22 novembre 2024, dans une décision QPC n°2024-1112, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de revenir sur la question de l’atteinte au droit de propriété et les procédures entourant l’expropriation pour cause d’utilité publique.
I – Rappel – Le droit de rétrocession
1.
Le droit de rétrocession a pour objectif de s’assurer que l’autorité expropriante mène à bien le projet qui lui a justement permis de justifier l’expropriation. Cette procédure aurait aussi pour objectif de contrecarrer l’inégalité de situation entre l’expropriant et l’exproprié.
Ainsi, l’article L.421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit que : si à l’expiration d’un délai de 5 ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, les immeubles expropriés n’ont pas reçu la destination prévue, les anciens propriétaires (expropriés) peuvent demander la rétrocession.
En théorie, ce mécanisme permettrait de rétablir un certain équilibre entre l’autorité expropriante et l’exproprié. La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique pose en elle-même des difficultés quant au droit de propriété. La question de l’atteinte est d’autant plus pertinente lorsque le droit de rétrocession est ouvert : à ce stade, l’autorité expropriante n’a pas ou a cessé de mettre en œuvre l’affectation qui avait justifié l’atteinte au droit de propriété.
D’une certaine façon, la rétrocession est un « mea culpa », la procédure d’expropriation n’a pas trouvé à se justifier. En partant de ce postulat, il est possible de penser que le législateur ainsi que les juges mettent en place un régime de rétrocession favorable aux anciens propriétaires expropriés, de sorte à compenser l’atteinte injustifiée à leur droit de propriété.
Néanmoins, l’existence théorique de ce droit ne garantit pas aux anciens propriétaires de retrouver leurs biens.
2.
L’autorité expropriante dispose de différents outils permettant de paralyser l’exercice du droit de rétrocession :
- L’administration peut faire échec au droit de rétrocession simplement en produisant une nouvelle déclaration d’utilité publique.
- De même, l’édification d’un ouvrage public fait obstacle à la rétrocession.
- Enfin, la cession du bien exproprié à un tiers fait également obstacle à l’exercice de ce droit. Les anciens propriétaires étant ici limités à l’octroi de dommages et intérêts.
Outre ces hypothèses, la rétrocession est également mise à mal par l’écoulement du temps. Il faut en effet compter de nombreuses années entre le départ de la procédure d’expropriation et l’ouverture de l’exercice du droit de rétrocession. Il est possible qu’au cours de cette période, les personnes expropriées n’aient plus les moyens de racheter leurs biens. D’autant plus que le prix de rachat peut être supérieur à ce qui avait été octroyé au titre de l’indemnité d’expropriation.
3.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître de QPC concernant l’exercice du droit de rétrocession.
Il a ainsi déjà pu estimer que la possibilité pour l’autorité expropriante de requérir une nouvelle déclaration d’utilité publique pour faire obstacle à la rétrocession ne constituait pas une atteinte au droit de propriété (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-292 QPC du 15 février 2013, Mme Suzanne P.-A.).
La décision présentement commentée s’inscrit dans cette même lignée jurisprudentielle.
II – La Question et les dispositions en cause
L’article L. 421-3 du code de l’expropriation dispose que :
« À peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice ».
Il est ici question du délai d’un mois laissé aux expropriés pour se prononcer sur le rachat du bien.
Il est vrai que ce délai peut sembler court, et ce à différents égards. Il est d’abord court au regard du nombre d’années écoulées depuis la décision d’expropriation. Il est également court au vu des diligences à accomplir avant la signature et le paiement du prix de vente : en un mois, il faut potentiellement obtenir un prêt bancaire, faire produire un acte notarié… Il peut se révéler complexe de réaliser l’ensemble de ces démarches en l’espace de quatre semaines. D’autant plus que leur réalisation ne dépend pas de la seule vélocité ou volonté des expropriés.
C’est à raison de ces éléments que les requérants ont entendu remettre en cause la constitutionnalité des dispositions susvisées au regard du droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel, après analyse de la procédure, conclut à une conformité de ces dispositions à la Constitution (1), néanmoins conscient des difficultés que la procédure de rétrocession peut entraîner, il émet une réserve d’interprétation sur la question (2).
- L’absence d’atteinte au droit de propriété privée
Les Sages ont conclu aux considérants suivants :
« En instaurant le droit de rétrocession, le législateur a entendu renforcer les garanties légales assurant le respect de l’exigence constitutionnelle de l’article 17 de la Déclaration de 1789 selon laquelle l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être ordonnée que pour la réalisation d’une opération dont l’utilité publique a été légalement constatée.
D’une part, en imposant un délai d’un mois, à peine de déchéance, pour la signature du contrat de rachat ainsi que pour le paiement du prix, le législateur a entendu encadrer l’exercice du droit de rétrocession afin de prévenir l’inaction de son titulaire.
D’autre part, ce délai court, une fois que l’intéressé a fait valoir son droit de rétrocession, à compter de la fixation du prix. Or, cette dernière n’intervient qu’après que les parties se sont accordées à l’amiable sur ce prix ou, à défaut d’accord, qu’à la suite d’une décision de justice. Les dispositions contestées ne font ainsi pas obstacle, par elles-mêmes, à l’exercice du droit de rétrocession par l’ancien propriétaire ou ses ayants droit. »
A la lecture de la décision, il est possible d’identifier deux arguments permettant de justifier l’absence d’atteinte au droit de propriété :
- Le délai de rachat doit rester court pour prévenir l’inaction du titulaire du droit de rétrocession.
- Le délai court à compter de la proposition du prix de rachat. Cette proposition intervient à la fin de la procédure de rétrocession et après négociations amiables ou décision juridictionnelle. Le juge laisse ici supposer qu’en réalité, les titulaires du droit de rétrocession ont plus qu’un mois pour préparer le rachat.
Pour autant cette décision reste sévère. Le législateur dont le choix a été confirmé par le juge constitutionnel entend prévenir l’inaction du titulaire du droit de rétrocession alors qu’en parallèle, 5ans ont été laissés à l’autorité expropriante pour mettre en œuvre la nouvelle affectation du terrain. Ce déséquilibre est d’autant plus marquant que les juges font preuve de clémence envers l’autorité expropriante : l’affectation prévue est retenue dès lors que les travaux ont été sérieusement engagés (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 28 février 2007, 06-11.922, Epafrance c/ Mme Mazuel) ou qu’elle n’est que partielle (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 11 mai 2005, 03-21.136 Marcoz-Nicodex c/ Cne de Brides-les-bains).
- Réserve d’interprétation : la possible atteinte à la propriété privée
Si le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas les dispositions en cause, il émet tout de même une réserve d’interprétation.
Dans l’hypothèse où à l’expiration du délai d’un mois, le prix de vente n’a pas pu être accepté par les expropriés à raison du comportement de l’expropriant (ou de toute autre cause extérieure), l’atteinte à la propriété sera caractérisée :
« Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que la déchéance du droit de rétrocession soit opposée à l’ancien propriétaire ou à ses ayants droit lorsque le non-respect du délai qu’elles prévoient ne leur est pas imputable. »
La sévérité de la jurisprudence des Sages est ainsi tempérée par une certaine considération pratique de l’exercice du droit de rétrocession.
Les juges peuvent donc être amenés à reconnaître une atteinte au droit de propriété. Cette fenêtre est étroite, il aurait été bienvenu que les juges aillent plus loin dans la protection du droit de propriété des expropriés victimes d’expropriations, finalement injustifiées.
Pauline BIALY – Juriste alternante
Ronan BLANQUET – Avocat Associé
Intervenant dans les Côtes d’Armor, le Finistère, le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine, la Manche, la Loire Atlantique, la Mayenne et sur l’ensemble du territoire, Maître Ronan Blanquet et son équipe se tiennent à votre disposition pour :
- Vous éclairez sur vos droits ;
- Sécuriser juridiquement vos projets et les faire aboutir ;
- Défendre vos intérêts en négociations ou au contentieux ;
- Agir dans les actions indemnitaires portant sur les dommages liés aux actions de l’administration.
Vous avez besoin de renseignements juridiques en droit administratif-urbanisme, ou de défendre vos intérêts ? Contactez-nous.
cabinet@adicea-avocats.fr – 02.22.66.97.87.