
Fonds de commerce et domaine public : précisions de la CAA de Lyon sur les limites à l’exploitation commerciale
Introduction
Traditionnellement, le juge administratif refusait la constitution de baux commerciaux sur le domaine public. Par voie de conséquence, il écartait la reconnaissance d’un fonds de commerce attaché à une occupation du domaine. La loi Pinel est venue infléchir cette position, autorisant l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public artificiel, à condition que l’occupant justifie de l’existence d’une clientèle propre.
Dans un arrêt du 16 janvier 2025 (CAA Lyon, 4e ch., n° 23LY02298, inédit au recueil Lebon), la cour administrative d’appel rappelle les limites de cette évolution, tout en précisant les conditions dans lesquelles une commune peut autoriser la signature future d’un bail commercial.
I. Faits et procédure
Par convention du 27 avril 2007, la société P2L a obtenu l’autorisation d’exploiter un bar-restaurant avec terrasse sur le domaine public communal de Tresserve. La convention a été renouvelée au 31 décembre 2019.
À son terme, la commune a lancé un appel à candidatures pour la cession du « droit au bail ». Par délibération du 27 février 2020, la candidature de la société P2L a été écartée au profit de celle de la société de Madame A, laquelle a cédé ses droits à la société Lido Lac du Bourget, qui a conclu un bail commercial.
Estimant ses droits lésés, la société P2L a saisi le tribunal administratif de Grenoble, sollicitant l’annulation de la délibération et de la convention, ainsi qu’une indemnisation subsidiaire. Déboutée par jugement du 9 mai 2023, elle a interjeté appel.
II. Analyse de l’arrêt
A. La prohibition persistante du bail commercial sur le domaine public
La cour rappelle que le régime de l’occupation du domaine public exclut la qualification de bail commercial. Si la loi Pinel permet l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public artificiel, elle ne remet pas en cause l’interdiction de conclure un bail commercial (CE, 28 janv. 1970, Consorts Philip-Bingisser, n°76557).
Par conséquent, l’occupant ne peut ni revendiquer un droit au renouvellement, ni solliciter une indemnité d’éviction.
B. Le caractère précaire et révocable du titre d’occupation
L’article L. 2122-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) affirme la précarité de toute autorisation d’occupation. Ce principe a été réaffirmé par la cour, qui constate que la convention d’occupation était arrivée à son terme au 31 décembre 2019, sans que sa reconduction puisse être déduite de la poursuite de l’activité.
La société P2L ne bénéficiait donc d’aucun droit au renouvellement.
C. Le respect des règles de mise en concurrence
L’article L. 2122-1-1 CG3P impose le respect des principes de transparence et d’impartialité lorsque l’occupation du domaine public poursuit un objectif économique.
En l’espèce, la CAA de Lyon juge que la procédure d’appel à candidatures respecte ces exigences. Le fait que le type de bail n’ait pas été précisé à ce stade ne contrevient pas au principe de libre concurrence.
D. L’hypothèse d’un déclassement anticipé du domaine public
Malgré l’interdiction de principe, la délibération autorisant la signature d’un bail commercial n’a pas été annulée. La cour justifie cette solution par deux observations :
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Le bail n’était pas encore signé à la date de la délibération ;
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Un déclassement du domaine public reste juridiquement possible avant cette signature.
Elle en conclut que la délibération ne méconnaît pas le droit applicable, dès lors qu’elle n’empêche pas un futur déclassement (cf. délibération du 10 juillet 2020).
E. L’absence de droit à indemnisation pour perte de fonds de commerce
1. L’exigence d’une clientèle propre
L’article L. 2124-32-1 CG3P admet qu’un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public si l’occupant dispose d’une clientèle propre. Toutefois, la preuve de cette clientèle indépendante de l’attractivité du domaine public reste difficile à établir.
En l’espèce, la société P2L n’a pas démontré l’existence d’une clientèle autonome, ce qui a conduit la cour à rejeter sa demande indemnitaire.
2. Rejet du fondement alternatif de l’enrichissement sans cause
La société invoquait également un enrichissement sans cause de la commune, qui avait perçu un droit d’entrée au moment de la cession. La cour écarte cet argument, estimant que la perception de ce droit repose sur une cause licite, à savoir la signature du bail à venir.
Conclusion
Cet arrêt illustre les limites juridiques entourant l’exploitation commerciale du domaine public. Il confirme :
-
La persistance de l’interdiction du bail commercial sur le domaine public, malgré les assouplissements introduits par la loi Pinel ;
-
L’importance du respect des procédures de mise en concurrence dans l’attribution des titres d’occupation ;
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Les conditions strictes permettant de reconnaître un fonds de commerce sur le domaine public, et donc le droit à indemnisation.
La CAA de Lyon adopte ici une lecture rigoureuse du CG3P, tout en ménageant une certaine souplesse via la possibilité de déclassement anticipé. Une décision d’équilibre entre protection du domaine public et ouverture à l’activité économique.
Pauline BIALY – Juriste alternante
Ronan BLANQUET – Avocat Associé
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