EXPULSION – L’obligation pour l’administration de prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’un commandement de quitter les lieux ?
EXPULSION – L’obligation pour l’administration de prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’un commandement de quitter les lieux ?
L’occupation d’un local à usage d’habitation par un locataire refusant de payer ses loyers ou par un occupant sans titre relève d’un régime particulier. Le propriétaire ne pouvant se faire justice par lui-même n’a d’autre choix que de s’en remettre aux juges : judiciaire dans un premier temps, puis administratif, au besoin, dans un second temps.
1- L’obtention nécessaire d’un commandement de quitter les lieux ou d’un PV de conciliation exécutoire
L’ article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que :
» Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux « .
Ce procès-verbal doit être signé par les parties devant le juge. En cas de co-location, si un co-locataire ne le signe pas, il lui sera inopposable (Cass. 3e civ., 24 juin 1992, n° 91-10.506 ).
En l’absence de décision de justice, l’expulsion forcée d’occupants sans titre constitue une infraction pénale (article 226-4-2 du code pénal).
Quel juge faut-il saisir ?
Le juge compétent en la matière est le juge de la protection près le tribunal judiciaire. Cette compétence trouve sa source dans l’article L. 213-4-4 du Code de l’organisation judiciaire
Dès lors que le juge de la protection prononce une ordonnance de quitter les lieux, elle est signifiée à ou aux intéressés par voie de commissaire de justice.
Outre le commandement de quitter les lieux, le juge peut condamner l’occupant à payer une indemnité d’occupation, l’objectif ici étant de remplacer les loyers.
La particularité de la situation peut mener les personnes visées par la mesure d’expulsion à refuser de l’exécuter, là est la difficulté de cette procédure.
2- L’obligation pour l’administration de prêter son concours de force publique
2.1- Les sources de l’obligation
Le concours de la force publique correspond à l’assistance que porte l’administration à l’exécution d’une décision de justice. Cette assistance peut se traduire par la mobilisation de force de police ou de gendarmerie, en particulier dans les situations où la contrainte s’impose.
L’obligation pour l’administration de prêter le concours de la force publique pour l’exécution des décisions juridictionnelles découle de la nécessité d’assurer l’exécution effective de ces décisions. Leur bonne exécution est en effet nécessaire au respect d’un procès équitable (CEDH 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, req. n° 18357/91).
La nécessité d’assurer la bonne exécution des décisions de justice a mené le Conseil Constitutionnel à imposer explicitement à l’administration de recourir à la force publique si elle y est requise :
« Considérant que toute décision de justice a force exécutoire ; qu’ainsi, tout jugement peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle y est requise, prêter main-forte à cette exécution ; qu’une telle règle est le corollaire du principe de la séparation des pouvoirs énoncé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que si, dans des circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l’ordre public, l’autorité administrative peut, sans porter atteinte au principe sus-évoqué, ne pas prêter son concours à l’exécution d’une décision juridictionnelle, le législateur ne saurait subordonner l’octroi de ce concours à l’accomplissement d’une diligence administrative ; (Conseil Constitutionnel Décision 98-403 DC – 29 juillet 1998 – Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions) »
Cette obligation a été matérialisée par le législateur avec l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution :
« L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. Les modalités d’évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d’exécuter une mesure d’expulsion sont précisées par décret en Conseil d’Etat »
2-2- La demande de concours
A compter de la signification du commandement de quitter les lieux, le locataire a deux mois pour s’exécuter.
S’il ne le fait pas, débute alors la procédure d’expulsion proprement dite.
Par principe, le commissaire de justice n’a pas la possibilité d’entrer dans le logement. En cas de refus de quitter les lieux, il peut seulement dresser un procès-verbal de tentative d’expulsion.
La solution est alors la suivante : le commissaire de justice demande au représentant de l’Etat du département de lui apporter le concours de la force publique pour l’expulsion.
Le représentant de l’Etat ne fait pas toujours droit à cette demande, ce qui mène à l’interrogation suivante : que se passe-t-il alors en cas de refus ?
3- L’engagement de la responsabilité de la personne publique en cas de carence dans l’exercice du concours de la force publique
Un principe ne vient pas sans exception. Il y a en effet des cas où l’administration se trouve dispensée de son obligation légale. C’est la raison pour laquelle le refus par une autorité administrative d’accéder à une demande de concours de la force publique pour l’exécution d’une décision juridictionnelle peut déboucher sur l’engagement – alternatif— de deux types de responsabilités :
- Dans le cas où le refus constitue un acte administratif unilatéral illégal, la responsabilité pour faute de l’administration est engagée. Ici et de façon classique, l’administration engage sa responsabilité pour faute du fait de l’édiction d’un acte administratif illégal (Conseil d’Etat, Section, du 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt n°84768). Cet acte pourra alors faire l’objet d’une annulation.
- Dans le cas où le refus est légal, sera engagée la responsabilité sans faute de l’administration au titre d’une rupture d’égalité devant les charges publiques (Conseil d’Etat, du 30 novembre 1923, Couitéas n°38284). La réparation ne sera alors que pécuniaire. Cette seconde hypothèse couvre les cas où l’administration a légalement refusé d’accorder son concours.
L’article 11 de d la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat sera publié pour préciser l’indemnisation du propriétaire qui se voit opposer un refus du concours de la force publique.
Se pose alors la question suivante : dans quels cas l’administration a la possibilité de refuser légalement d’user de la force publique pour exécuter une décision juridictionnelle ?
4- L’appréciation de la légalité du refus de prêter le concours de la force publique
L’administration fait face, dans le cadre d’une demande de concours de la force publique, à des considérations d’ordre public qui peuvent la mener à refuser une telle demande. A noter que ces considérations recouvrent d’une part l’ordre public matériel dont le champ est défini à l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales, et d’autre part l’ordre public immatériel qui comprend notamment le respect de la dignité humaine.
Contentieux du refus du concours de force publique : la mise en balance entre les considérations d’ordre public et la nécessité d’exécuter les décisions de justice
Toute atteinte portée à l’ordre public ne justifie pas le refus de l’administration d’apporter son concours de force publique.
Il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat – et de celle du Conseil Constitutionnel citée supra – que l’exception permettant de justifier légalement un refus de concours de force publique couvre les cas de situations « impérieuses » ou « exceptionnelles » d’atteinte à l’ordre public. (Conseil d’Etat, 11 octobre 2023, n° 474491).
Concrètement, pour apprécier la légalité du refus, le juge opère une balance entre le trouble que causerait le maintien de la situation en l’état et celui qui serait causé par l’exécution de la décision de justice. Ainsi, en matière d’expulsion, le juge prend en considération la situation concrète des personnes visées par la mesure.
- le simple fait que les personnes visées par la mesure n’aient pas de solution de logement n’est pas suffisant pour qualifier un trouble justifiant un refus (Conseil d’Etat, 30 juin 2010, n° 332259)
- En revanche, une situation de faiblesse de la ou des personnes visées par la mesure permet de légalement justifier le refus d’apporter le concours de force publique. Pour des illustrations où le juge a considéré que l’exécution de la mesure d’expulsion porte atteinte à la dignité humaine. En ce sens, (CE, form. réf., 10 oct. 2003, n° 260867: pour une personne âgée avec des revenus faible sans solution de logement ; Conseil d’Etat, du 18 juillet 2003, 258506 : pour une famille composée de nombreux enfants en bas âge sans solution de logement).
Pauline BIALY – Juriste alternante
Ronan BLANQUET – Avocat Associé
Intervenant dans les Côtes d’Armor, le Finistère, le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine, la Manche, la Loire Atlantique, la Mayenne et sur l’ensemble du territoire, Maître Ronan Blanquet et son équipe se tiennent à votre disposition pour :
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