L’expropriation est une procédure lourde, souvent vécue comme une dépossession brutale. Mais en droit français, elle repose sur un principe fondamental : nul ne peut être privé de sa propriété sans une indemnisation juste, préalable et intégrale.
Alors, comment est déterminée cette indemnité ? Qui peut en bénéficier ? Et comment réagir en cas de désaccord avec l’administration ?
Un principe constitutionnel : l’indemnisation juste et préalable
L’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 fonde le régime indemnitaire de l’expropriation :
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique […] l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
Ce principe est repris par le Code de l’expropriation, qui encadre précisément la procédure et les modalités d’évaluation de l’indemnité. Il prévoit notamment à son article L. 321-1 : « Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation. »
Les composantes de l’indemnisation
1. L’indemnité principale : la valeur du bien
L’indemnité principale correspond à la valeur vénale du bien exproprié au jour de la décision de première instance (article R. 322-1 du Code de l’expropriation).
Elle doit permettre à l’exproprié de racheter un bien équivalent dans des conditions normales de marché.
Exemple : un terrain constructible en périphérie d’agglomération, évalué à 100 €/m², donnera lieu à une indemnité fondée sur cette base, indépendamment du prix auquel l’exproprié l’avait lui-même acquis.
2. Les indemnités accessoires
Lorsque l’expropriation entraîne des dommages collatéraux directs, l’administration doit également indemniser :
- La perte de valeur de la partie restante du bien en cas d’expropriation partielle.
- Les frais de déménagement, de réinstallation, ou de réorganisation d’activité.
- Les investissements devenus inutiles, comme un hangar agricole devenu sans objet.
Ces indemnisations doivent être directes, matérielles et certaines. Le préjudice moral, quant à lui, est exclu.
L’exclusion du préjudice moral : un principe strict
La jurisprudence exclut systématiquement l’indemnisation du préjudice d’ordre sentimental ou affectif :
« 5. Considérant qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que la collectivité expropriante, poursuivant un but d’utilité publique, soit tenue de réparer la douleur morale éprouvée par le propriétaire à raison de la perte des biens expropriés ; que, par suite, l’exclusion de la réparation du préjudice moral ne méconnaît pas la règle du caractère juste de l’indemnisation de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; » (**Conseil Constitutionnel Décision 2010-87 QPC – 21 janvier 2011 – M. Jacques S.)**
Même en cas d’attachement fort au bien, aucune compensation n’est prévue.
Qui a droit à l’indemnisation ?
L’indemnité ne concerne pas que le seul propriétaire :
Propriétaires
Ils perçoivent l’indemnité principale, ainsi que les accessoires en lien avec leurs charges.
Usufruitiers
Ils peuvent percevoir une indemnité pour la perte du droit de jouissance. Le calcul de la valeur de leur droit s’effectue en fonction de leur âge (barème fiscal).
Exemple : une maison détenue en nue-propriété par un enfant, avec usufruit réservé au parent âgé. L’indemnité sera partagée proportionnellement.
Locataires
Ils peuvent obtenir une indemnisation :
- des frais de relogement,
- d’un préjudice de jouissance,
- voire d’une perte d’exploitation si l’expropriation interrompt une activité commerciale ou artisanale.
Procédure d’évaluation et désaccords
Notification de l’offre par l’expropriant
L’autorité publique adresse à chaque ayant droit une proposition d’indemnisation. Le destinataire peut alors :
- Accepter l’offre et signer un accord amiable.
- Refuser, en formulant une contre-proposition motivée.
Intervention du juge de l’expropriation
En cas de désaccord, c’est le juge de l’expropriation qui fixe le montant définitif, après audition des parties et analyse contradictoire ( art. L.311-5 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).
La valeur du bien exproprié sera fixé en fonction des “termes de comparaison” (qui sont des ventes récentes de biens similaires au bien exproprié), produits par les parties.
Fixation de la date de référence
La valeur du bien est figée au jour de l’ordonnance d’expropriation. Néanmoins, l’usage effectif du bien est fixé à « la date de référence » : toute amélioration ultérieure (extension, plantation, clôture…) ne sera pas prise en compte dans l’évaluation ; y compris les améliorations résultant de travaux publics.
En outre, les améliorations postérieures à l’enquête publique sont présumées avoir été réalisées dans le seul but d’obtenir une indemnité plus élevée (L.322-1 du Code de l’expropriation).
Ainsi, les améliorations résultant de la réalisation de travaux publics à proximité du bien ne sont pas prises en compte dans le montant de l’indemnité (CA Aix-en-Provence, ch. 1-10, 16 janv. 2020, n° 18/00042).
Délai de prise de possession et expulsion
Une fois le montant de l’indemnité fixé et payé :
- L’expropriant dispose d’un délai d’un mois pour prendre possession du bien.
- Le refus de l’occupant de quitter les lieux permet d’engager une procédure d’expulsion.
Points de contentieux fréquents
Plusieurs aspects donnent lieu à litige :
- Sous-évaluation de la valeur vénale du bien par l’administration ;
- Omission de dépendances ou annexes dans l’indemnisation ;
- Désaccord sur le statut du locataire ou de l’usufruitier ;
- Contestation de la date de référence ou du barème utilisé.
Dans tous les cas, l’assistance d’un avocat en droit de l’expropriation permet d’éviter une indemnité sous-évaluée ou incomplète.
En résumé : une indemnisation encadrée mais négociable
L’expropriation pour cause d’utilité publique ne prive pas seulement d’un bien. Souvent, elle bouleverse aussi un projet de vie ou une activité professionnelle.
Si l’indemnisation est obligatoire et encadrée, elle peut faire l’objet de discussion, voire d’un recours, si elle semble insuffisante ou inéquitable.
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Questions fréquentes
Quels sont les critères pour fixer l’indemnité d’expropriation ?
L’usage du bien à la date de référence et la valeur vénale du bien en fonction des ventes récentes de bien similaires.
L’indemnité est-elle imposable ?
L’indemnité peut être exonérée d’impôt sous certaines conditions (notamment en cas de réemploi dans un projet similaire). Une analyse fiscale s’impose au cas par cas.
Puis-je contester l’indemnité proposée ?
Oui, par voie amiable ou devant le juge de l’expropriation, avec l’appui d’un avocat.
Que se passe-t-il en cas d’expropriation d’une terre agricole ?
La valeur tient compte de la qualification juridique du terrain et des conséquences sur l’exploitation. L’indemnisation des exploitants peut aussi inclure des préjudices spécifiques.